La puce à l’oreille
13 septembre 2009L’estaminet du temps passé qui succède à l’auberge du moyen âge perpétue le lieu de rencontres conviviales où le peuple se retrouve pour fumer, boire et chanter afin d’oublier la dure condition qui est la sienne.
Décrié par les patrons d’usine qui lui reprochent l’excès de boissons (1) provoquant les absences du lundi et vilipendé par l’Eglise (2) qui voit ses ouailles manquer la messe et plonger dans le vice, l’estaminet jouera un rôle considérable dans la maturation politique et dans le maintien des jeux et fêtes traditionnels.
On y joue au bouchon, au crochet, à la table à toupie et bien d’autres jeux inventés par les paysans et construits par eux en bois, seul matériau bon marché et disponible à l’époque.
Pour fidéliser leur clientèle, les tenanciers font entrer la musique avec l’orgue ou le piano et bien sûr des femmes ce qui amène les autorités tant laïques que religieuses à réagir par nombre d’interdictions pour condamner l’immoralité ambiante et enrayer la prostitution.
Pour ces » ribaudes » comme on les appelait, un dicton populaire voulait qu’on leur perçât l’oreille pour calmer les démangeaisons amoureuses ! On avait ainsi tué « la puce à l’oreille ».
La misère, le logement insalubre, (3) le déracinement expliquent pour partie la recherche de l’oubli de la détresse dans les excès dénoncés et toujours combattus par des règlements de plus en plus contraignants.
En dépit de ces limitations, on y danse et on y chante beaucoup notamment des chansons qu’apportent de nombreux syndicalistes licenciés de leur usine répandant sous forme de chansonnettes la contestation en dénonçant les abus de la bourgeoisie et la misère sociale.
Chansons gaillardes ou revanchardes, elles sont le reflet de la vie quotidienne avec son cortège de mélancolie et d’attachement familial ; Le « P’tit Quinquin » sera repris par des générations de voix et « L’Internationale » sera rédigée dans un estaminet lillois aujourd’hui disparu.
Lieu de diffusion de la culture populaire, l’estaminet reste avant tout le centre créateur de jeux de société qui sont encore bien vivants dans notre époque moderne pourtant dominée par la vidéo.
Dans la grande arrière-salle les combats de coqs ont connu la célébrité et la passion des parieurs pendant des décennies ; plus calmes et réclamant une grande concentration, les concours de chant des pinsons connaissent encore ici et là une grande faveur des spécialistes.
Les coulonneux, les sociétés d’archers comme les bandes de carnaval, les harmonies, fanfares et majorettes s’y retrouvent pour organiser et préparer leurs joutes, défilés et concerts.
Ces traditions n’auraient pu survivre sans ce support matériel pourtant longtemps décrit comme lieu de perdition, de débauche et propageant la tabagie et l’alcoolisme.
Pour rappeler ce passé, les journées du patrimoine des 19 et 20 septembre prochain vont proposer un vaste panorama des fêtes et traditions où les jeux les plus anciens et insolites ainsi que les traditions encore très actuelles seront présentées avec un maximum de réalisme.
Notez ces dates, une équipe dynamique et tous les bénévoles de la commission d’histoire vous attendent à la Maison des enfants; ils vous étonneront.
(1) Ch’est au cabaret que l’tristesse, viell’ tigresse, sitôt disparaît
(2) Là où Dieu bâtit une église, le Diable ouvre un cabaret
(3) « caves de Lille, on meurt sous vos plafonds de pierre » Victor Hugo
Références bibliographiques : Estaminets du Nord, Ed La Voix du Nord- Estaminets du pays du Nord ; Jacques Messian
Pierre Pierrard : la vie ouvrière au second Empire.