Le dispensaire en mode virtuel, un retour en arrière

14 mars 2025 0 Par Pierre HAIGNERE
J’aime

Dans les années 2019 et suivantes à l’initiative du promoteur ICF Nord Est un comité de pilotage regroupant divers acteurs de la vie sociale (associations, municipalité, anciens soignants et personnels du dispensaire, habitants du quartier, promoteurs, etc..) s’est réuni salle Beaulieu pour tenter de recréer virtuellement les locaux mais aussi l’ambiance de travail vécue pendant plusieurs décennies au sein de cet établissement.

Passionnés mais aussi nostalgiques de ce riche passé dans cette structure sanitaire et sociale ces témoins souhaitent évoquer les moments intenses partagés avec les mamans et les enfants pendant toutes ces années ainsi que sa fin dramatique et les espoirs d’un renouveau.


Début des années 1920, la « Maison du Docteur » est l’habitation du Docteur de la Compagnie. A cette époque cette bâtisse n’est pas encore le « Dispensaire ». (Archives Construction Moderne 10 avril 1927).

L’organisation en groupes de travail est décidée et dès les premiers ateliers il est apparu que de nombreuses personnalités du monde médical et social SNCF avaient œuvré au sein de la Maison du docteur dessinant au fil de leur mémoire la typologie du lieu, la composition des équipes pluri disciplinaires, la répartition des missions et les fonctions assumées.

C’est d’abord la description des locaux qui émerge des souvenirs décrivant un grand logement de fonction de neuf pièces, ainsi qu’un cabinet de consultation.


Plus tard, elle devient le « Centre d’Hygiène » ou « Dispensaire » avec un prolongement sur le côté droit en forme de « L » (Archives de la ville de Lomme).

Ce bâtiment sur le modèle développé dans d’autres cités-jardins de la Compagnie par deux architectes, la maison du docteur est l’œuvre de Gustave UMBDENSTOCK, en revanche c’est Ernest BERTRAND qui est à l’origine du projet architectural du service médical.

Il était pensé pour loger le médecin et y pratiquer ses consultations. En fait, la maison du docteur n’a jamais été occupée par un médecin. En revanche, quelques infirmières et assistantes sociales y ont vécu. Le lieu n’était pas seulement un lieu de consultation mais une sorte de PMI avant l’heure, un centre d’hygiène sociale.

Au rez-de-chaussée :

Les malades accédaient par une entrée particulière distincte et bien opposée à celle du porche réservée à l’habitation. La répartition des locaux comprenait plusieurs bureaux :

  • Le bureau des assistantes sociales, dans les anecdotes beaucoup de témoignages citent les parois et les portes vitrées le long du couloir côté́ droit n’assurant pas vraiment la confidentialité. Un carrelage Vert et Blanc sur les murs rappelle l’asepsie nécessaire des lieux.
  • Dans le bureau du bas, de grandes armoires de l’époque du cabinet médical.
  • Au-dessus des armoires le mur était carrelé.
  • Le bureau des consultations de nourrissons était dans la grande salle au fond.
  • Sous un escalier tortueux, un petit espace permet de garer les poussettes.
  • Un grenier au deuxième étage permettait de stocker des vêtements destinés aux ménages les plus démunis.

Il y avait un meuble en bois en forme de « comptoir », carrelé́ sur le dessus. Une balance permettait la pesée régulière des nourrissons.

Une assistante sociale avait son bureau à l’arrière « là où c’était ensoleillé ».

À gauche, la salle d’attente, les toilettes ; la montée d’un petit escalier de bois tournant permettait d’accéder au logement à l’étage. L’escalier est fermé par une porte en bois.

A droite en entrant il y avait également un local où des rayons ultras violets étaient dispensés auprès des enfants pour lutter contre le rachitisme, une lampe puissante permettait de stimuler les cellules osseuses et consolider les os.

Un petit bureau à droite en entrant également carrelé a servi pour les campagnes de vaccination à destination des enfants de la cité de la Délivrance. Les médecins de Lille y venaient également pour pratiquer de petites interventions dont l’ablation des amygdales.

Au premier étage :

  • Une cuisine.
  • Un séjour, avec une très belle cheminée
  • Une salle de bains, avec les murs verts carrelés.

Ce logement était utilisé par Mlle Lavoine, responsable depuis 1923 de cet établissement, elle garde une réputation de soignante et directrice des soins exceptionnelle avec un point d’orgue pour son action dans le bombardement et ses suites dramatiques en avril 1944.


Le Dispensaire juste après le bombardement du 10 avril 1944 (Archives du Bavard)

Très critique à l’égard des responsables publics pour le retard des secours auprès des victimes du bombardement, Melle Lavoine quittera ses fonctions pour rejoindre les services nationaux.

En plus des infirmières et assistantes sociales une secrétaire, une technicienne ESF, une psychologue orthophoniste complétaient le staff de cette maison médicale.

Le médecin, outre ses vacations, assurait la consultation des nourrissons et organisait la distribution de lait.

De même, il devait tenir une comptabilité méticuleuse des statistiques de la mortalité infantile et les progrès réalisés d’année en année.

Le médecin et son équipe (infirmières et assistantes sociales) veillaient également à transmettre les bonnes recommandations en matière d’hygiène.

L’histoire de cette structure médicale symbolique s’est arrêtée brutalement suite à la fermeture des locaux par la SNCF en 2005 en raison du regroupement des équipes sur la structure lilloise. Cette décision heurta toute la population cheminote très attachée aux services sociaux et sanitaires auxquels elle recourait régulièrement.

Le pire était à venir car nullement sécurisé ce bâtiment souffrit très vite de vandalisme puis d’un début d’incendie qui causa sa destruction partielle. La gestion chaotique de sa protection année après année par les administrations gestionnaires a entrainé la déliquescence des locaux sous les yeux de la population de la cité des cheminots effarés et scandalisés par cet abandon incompréhensible.


Début des années 1950, après remise en état en vue arrière, vers la place E. Dompsin.

L’idée d’un musée virtuel bloquée par les interdictions de déplacement dues au Covid est encore inaboutie et ne peut être résumée sur deux pages expliquant le lien intense qui a relié pendant des décennies les équipes paramédicales aux familles et leurs enfants.

Des questions demeurent sur l’inexplicable contentieux bloquant pendant des années les initiatives qui auraient pu empêcher la destruction de cet édifice ; inscrit au dictionnaire des bâtiments du patrimoine du Nord cette véritable institution fut l’emblème d’une politique sanitaire et sociale au service de toute une population cheminote pendant près d’un siècle.

P.H.

Vues : 48