La cité, son histoire (suite du numéro 82)

20 juin 2016 0 Par EDITEURS
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Nous évoquions dans les numéros 81 et 82 la vie quotidienne des familles dans les années d’avant-guerre qui fut une époque sereine et conviviale grâce aux nombreux équipements de loisirs.

Mais c’est aussi l’époque du réalisme économique qui se traduira par une augmentation significative des loyers portés à 1300 Frs ou 1600 selon la capacité du logement et une chasse au « gaspi » par une surveillance accrue de l’utilisation jugée abusive de l’électricité.

Des tensions se créent se traduisant par des mouvements de grève sporadiques mais ce climat sera bientôt alourdi au cours de la longue épreuve des quatre années d’occupation du pays par les troupes allemandes.

La durée du travail qui avait été ramenée à 37 heures après le front populaire est portée à 40 heures en 1938 puis à 54 heures en 1940 pour atteindre 60 heures en 1943.

Dans ce climat social dégradé sous une chape de restrictions et privations les conditions de vie sont devenues étroitement dépendantes de l’alimentation qui s’obtient à coup de tickets de rationnement innombrables limitant l’accès aux denrées habituelles. C’est ainsi que la viande se distribue à hauteur de 120 g par semaine tandis que le pain s’obtient par des rations fixées selon l’âge des enfants ou catégorie de l’adulte (de 100 à 350g par jour avec des tickets J1 à J3 ou des cartes EA).

Les pâtes, la matière grasse, le riz, chocolat ou café obéissent aux mêmes normes draconiennes ; ainsi le riz par dose de 300 g pour un mois est réservé aux enfants de moins de 6 ans tandis qu’on pourra obtenir 250 g de farine avec les tickets DA ou DB.

Pour couvrir les besoins caloriques nécessaires il faut aller sur les marchés dits « libres » qui sont en fait dominés par les acteurs du « marché noir » tenus par des individus sans scrupules tirant profit de cette situation de pénurie imposée à la majorité de la population mais pas pour tous.

Ce sera des longues queues devant les vitrines de magasins ouverts seulement deux à trois jours par semaine alors qu’en décembre 1940 l’hiver sera le plus rude de la décennie avec des températures descendant jusqu’à -15° et un gel général pendant 70 jours.

Une intense économie parallèle voit le jour dans laquelle s’échangent non seulement des denrées mais aussi des tickets de rationnement qui permettent d’augmenter légèrement les quotas ridiculement bas.

Si le Kg de pain est fixé à 2,60 Frs et le kg de beurre à 400 Frs, les beaux restaurants parisiens affichent des menus pouvant atteindre 1000 Frs et on peut acheter une paire de chaussures en cuir pour 2000 Frs.

Pendant ce temps, un cheminot gagne 2000 frs par mois mais pourra peut-être vendre du poil de lapin angora s’il en a fait l’élevage au prix de 500 Frs ou échanger une paire de chaussures contre 6 kg de matière grasse.

Les affaires continuent durant la guerre et les salles de vente aux enchères de Lille offrent des occasions à ne pas manquer telle une toile de Goya acquise pour 112000 Frs ou un service à thé Renaissance pour 81000 Frs tandis que la Bourse continue son marché d’actions avec de belles progressions pour les usines KUHLMANN et Fives Lille.

Les loisirs :

L’après-guerre donnera l’occasion de réutiliser les équipements de loisir heureusement épargnés par les destructions. En dotant la cité d’un nombre important de structures culturelles et sportives et ouvrant largement les sociétés de loisirs aux cheminots, les dirigeants de la Compagnie des chemins de fer du Nord savaient que le succès serait garanti.

Les célèbres ducasses ont encore aujourd’hui leurs nostalgiques qui peuvent vous citer chacun des manèges qui enchantèrent leur jeunesse là on pouvait abriter un baiser furtif sous la cape des chenilles et montrer son adresse ou sa force au stand de tir ou sur la rampe de la locomotive plombée.

La retraite aux flambeaux se dirigeant vers la place Beaulieu donnait le coup d’envoi aux réjouissances qui duraient tout le week-end et même au-delà pour certaines manifestations rompant avec les contraintes du travail et signifiant aux enfants que les grandes vacances étaient proches.

Le sport tenait une grande place et la cité peut être fière des résultats obtenus dans de nombreuses disciplines parmi lesquelles la natation, la boxe, l’haltérophilie ou le basket ont connu des athlètes de haut niveau.

La piscine demeure dans les mémoires par son impact sur plusieurs générations qui découvraient la baignade de plaisir, la compétition parfois mais aussi la rencontre des corps partiellement dénudés par l’arrivée de la mode des mini maillots de bain qui n’avaient plus rien de commun avec leurs prédécesseurs.

La relation hiérarchique.

Chaque cheminot signait à son arrivée le contrat de location qui lui précisait outre le loyer, les conditions d’octroi et surtout les limites d’utilisation de son logement soit en fait à l’expiration de son activité de cheminot.

Cette échéance paraissant lointaine n’émouvait pas les jeunes familles à ses débuts mais sera source de beaucoup de soucis et parfois de contentieux le moment venu.

En échange d’avantages matériels indiscutables, les responsables de la gestion de la cité rappelaient souvent les règles s’imposant à chacun dans l’utilisation de l’énergie et dans le bon usage des locaux et du jardin contrôlé par un garde champêtre bienveillant mais méticuleux.

Les congés maladie seront eux aussi l’objet de contrôles par un médecin rémunéré par la Compagnie de Chemin de fer afin d’éviter des absences prolongées jugées indues.

Au total, la création de cités jardin dans la région Nord répondait à plusieurs objectifs dans lesquels l’efficacité au travail était très présente dans l’esprit des concepteurs. En revanche, par des équipements « hors normes d’époque » pour des familles ouvrières, ces cités ont permis des conditions de vie et des possibilités d’épanouissement personnel supérieures à celles rencontrées dans les structures industrielles.

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