On ne mouille pas ses doigts.

17 septembre 2007 0 Par EDITEURS
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Après s’être essuyés les pieds soigneusement sur le paillasson installé en évidence dans le vestibule ils pénètrent avec précaution dans la grande salle de lecture dont les murs, tapissés de milliers de livres, forment un décor imposant.

Leurs grosses chaussures cloutées de « daches » sont une insulte au parquet ciré dont les teintes chaudes donnent à la pièce une allure de salon de maison intimidant.

L’ambiance est feutrée à peine troublée par des fous rires qui s’éteignent vite sous le regard sévère des deux dames bibliothécaires.

Assis autour de la table de lecture, les gamins dévorent les BD à couverture cartonnée, luxe inconnu dans les maisons de cheminots, ils tournent les pages avec précaution par le haut comme le rappellent régulièrement les demoiselles responsables ; ils échangent leurs impressions à voix basse et se recommandent entre eux les meilleurs Tintin et les plus attirants Mortimer. Les plus hardis ou les curieux s’aventurent vers les rayons des romans mais faute de référence leur choix est plus dicté par la couverture que par le contenu.

Il reste enfin les littéraires, peu nombreux, ils ont troqué leurs culottes courtes pour des pantalons de golf et s’essayent à la philosophie dont Sartre est alors le porte drapeau avec « les mains sales » ou « les chemins de liberté ».

Ceux là ne craignent pas les regards des bibliothécaires qui les encouragent et guident leurs lectures par des conseils avisés dont ils garderont le souvenir ému car le plaisir de lire est probablement né dans ces années.

Ils entendront également encore longtemps l’injonction prononcée d’une voix ferme « on ne mouille pas ses doigts pour tourner les pages », lancée à l’intention des petits lecteurs pris tout entier dans leur histoire de tintin, oublieux pour un temps de la discipline de lecture de la bibliothèque des cheminots de Délivrance.

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