Nuit du 9 au 10 avril 1944 à Lomme, n’oublions pas…

Nuit du 9 au 10 avril 1944 à Lomme, n’oublions pas…

10 avril 2023 0 Par Jean-Jacques Lecourt
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En ce début de printemps, l’approche du week-end Pascal nous invite aux réunions familiales, moments festifs et joyeux. Les hasards du calendrier nous positionnent dans la même configuration qu’il y a 79 ans ; Pâques, dimanche 9 avril…

En ce début d’avril 1944, la guerre s’éternise, les privations sont de plus en plus contraignantes et insupportables à vivre au quotidien. Dans ce contexte, Pâques arrive comme une bouffée d’oxygène qui va permettre des rassemblements familiaux et évacuer en partie l’oppression de l’occupant ! Dans la cité cheminote l’effervescence bat son plein : la joie et la bonne humeur sont au rendez-vous. Le dimanche 9 avril, après les festivités, les petites têtes blondes et les parents se couchent avec un sentiment de sérénité retrouvée.

Dans le même temps, en Angleterre, entre 22h15 et 23h45, 239 avions (Halifax, Lancaster, Stirling et Mosquitos) décollent de plusieurs bases. L’objectif est le bombardement de la gare de triage de Lille Délivrance ! Les premiers avions arrivant sur la zone sont les « Pathfinders » (éclaireurs) qui ont pour mission de marquer la zone à bombarder en lâchant des « Targets Indicators », fusées éclairantes rouges. En gare, les cheminots sont surpris. M Dassonville, Chef Aiguilleur en poste, contacte par téléphone les autorités allemandes pour savoir si une alerte est en cours afin de prévenir ses collègues pour qu’ils puissent rejoindre les abris : la réponse est négative. Trop tard… Il est 0h42, l’enfer commence ! En provenance du sud-ouest et à destination du nord-est, trois vagues successives de la RAF lâchent 2 200 bombes sur une zone de 8 km par 4, le bombardement se termine à 1h20. En gare, le bilan humain est le suivant ; 9 cheminots sont tués en service, 3 autres sont portés disparus, 27 agents sont blessés en service.

Les équipements ferroviaires sont détruits à 70%, seul un Lancaster manque à l’appel, il est abattu à proximité d’Abbeville. Pour le « Bomber Command » c’est une réussite ! Un peu plus de 1300 bombes ont atteint l’objectif, le reste (un peu moins de 900) est tombé sur la population civile… Les villes voisines de Lille, Loos, Haubourdin, Sequedin, Lambersart, Saint André et La Madeleine sont impactées, la plus touchée est la commune de Lomme.

La gare de Triage de Lille délivrance après le bombardement, enchevêtrements des voitures, des voies et des locomotives. Les soldats allemands viennent constater les dégâts.

Véritable séisme pour la population, aucun quartier de notre commune n’est épargné, notre belle Cité des roses est complétement défigurée et meurtrie à jamais. Les écoles sont réquisitionnées pour servir de morgues improvisées, les secours s’organisent d’abord avec les survivants et les rescapés puis les pompiers et la défense passive. Melle Lavoine (l’assistante sociale de la cité) organise de suite les soins sur place en attendant l’arrivée des médecins.

La cité des cheminots est méconnaissable…

Le lendemain, 11 avril 1944, la « Une » du Grand Echo du Nord de la France titre :

L’effroyable bilan du raid anglo-américain dans la région lilloise

401 morts, 355 blessés – dont 173 dans un état grave

520 maisons détruites près de 2 000 sérieusement endommagées

A cette date, c’est le bombardement le plus meurtrier de ce conflit pour la population civile en France. Il sera à l’origine d’une certaine animosité envers les alliés qui sera un sujet de discorde entre Roosevelt et Churchill, ce dernier ayant la volonté de préserver les civils dans ce conflit. Le bilan humain s’alourdit de jour en jour au fur et à mesure des fouilles dans les maisons endommagées et détruites. Devant le nombre important de victimes une organisation doit être mise en place pour essayer de canaliser la foule qui souhaite honorer les défunts. L’enterrement des 380 victimes lommoises est programmé le vendredi 14 avril 1944. Impossible de faire entrer les cercueils, trop nombreux, dans les églises. Les corps seront bénis à l’extérieur par les prélats, trois cérémonies sont organisées :

  • Eglise Notre Dame de la Visitation (Bourg), cérémonie à 9h00, pour rendre hommage à 160 victimes.
  • Eglise Notre Dame de Lourdes (Marais), cérémonie à 10h15, pour rendre hommage à 70 victimes.
  • Eglise du Sacré-Cœur (Mont à Camp), cérémonie à 11h00, pour rendre hommage à 150 victimes.
Vendredi 14 avril 1944, place de l’Eglise au Bourg, durant la cérémonie en extérieur. Les cercueils ont été positionnés sur l’avenue de Dunkerque (à gauche). La foule est venue rendre un dernier hommage aux victimes…

Les témoignages de ce bombardement qui nous parviennent aujourd’hui sont d’une violence que nous ne pouvons pas comprendre sans l’avoir vécu.

J’ai encore en mémoire le témoigne de mon père, victime de ce bombardement, qui ne pouvait retenir ses larmes 60 ans après, lorsqu’il m’expliquait ce qu’il avait vécu durant cette fameuse nuit.

Au cimetière de Mont à Camp, une nécropole rend hommage aux victimes de ce bombardement. Place Beaulieu, 4 plaques reprennent les noms des victimes de la cité ainsi que les agents tués pour ne pas oublier le lourd tribut payé par cette communauté cheminote durant ce conflit. Elles encerclent une réplique du mirador qui indique 0h42, en mémoire de cette nuit d’horreur.

En 2014, le « Bavard de Délivrance » a édité un hors-série (n°2) pour le 70ème anniversaire de cette tragédie.

JJL

plaque du dépôt de la gare de triage de Lille-Délivrance

Sources :
Site internet « France-Crashes 39-45 »,
Rapport du Chef de gare de Lille Délivrance du 27 avril 1944,
PENDANT LA TOURNANTE, LOMME 1939-1945 par l’Abbé Depecker (Paroisse du Marais, N. D. de Lourdes),
Le Grand Echo du Nord de la France.

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