Un canard pour le t’iot.
17 juin 2007Autour de la table munie exceptionnellement de ses rallonges, les deux familles dévoraient à belles dents de larges quartiers de la tarte au sucre encore tiède.
La voisine récompensait mon père pour son aide dans le bêchage du jardin que son mari, mécanicien, blessé dans son dernier voyage, n’avait pu terminer.
C’était l’heure du café, un jus bien noir que les restrictions de la guerre à peine achevée avaient réduit à une longue infusion de chicorée qu’on filtrait patiemment dans la chaussette de la cafetière chargée d’un mélange savamment dosé.
Les hommes attendaient « la goutte », cet alcool servi dans des verres minuscules aux formes curieuses rappelant des calices miniatures que l’on s’empressait de verser dans la tasse de café encore fumante pour préparer « l’ bistouille ».
« Un canard pour le t’iot ? » interrogeait notre voisine en me désignant et présentant de manière autoritaire le sucre que l’on venait de tremper dans le verre l’alcool, une pratique familiale aux origines ancestrales.
On ne pouvait refuser cette invite et en toussant sous cette vigoureuse liqueur, la bouche enflammée je déglutissais lentement le « canard » qui, peu à peu, répandait une saveur sucrée dans la bouche atténuant la brutalité du breuvage.
C’est bon n’est-ce pas insistait notre hôtesse et chacun de s’esclaffer devant les mimiques qu’imposait ce rituel marquant le passage de l’enfance vers l’adolescence.