De Délivrance au hameau du Fresnel, avril 1944… (suite)
7 février 2020La guerre toutefois continuait et dans le ciel d’été les avions brillaient sous le soleil mais leur charge mortelle était cette fois destinée au sol allemand dont les troupes, sous pression, commençaient leur repli en évitant les grandes routes.
C’est ainsi que leur itinéraire de retraite conduisit certaines unités à circuler par la petite voie départementale passant devant le Fresnel et même à s’y arrêter à la suite d’une attaque imprudente de quelques résistants du côté de la barrière de Premesques.
Des soldats firent irruption dans le petit café où les habitants s’étaient réfugiés partageant leur peur en se regroupant. J’ai un net souvenir de la scène qui suivit car le temps s’était arrêté lorsqu’un officier pointant son arme nous dévisagea pour tenter de trouver un coupable.
Ce fut certainement un moment dont les témoins de la scène se souviennent encore car s’il ne dura que quelques minutes, son intensité nous marqua pour toujours.
Deux autres scènes sont liées à cette période troublée ; c’est d’abord une lutte perdue que mena courageusement ma mère avec un soldat allemand qui voulait emporter le seul vélo de la famille permettant à mon père d’aller travailler.
L’autre souvenir plus réconfortant car il se situe en fin des hostilités et alors que je prenais mon repas, c’est d’avoir été témoin du retour des camps de prisonniers après cinq ans d’absence du mari de Mme Marcellot qui, non prévenue, manifesta une immense émotion que j’ai en partie partagée et dont la mémoire reste vive.
Cette parenthèse agreste prit fin en 1945 mais j’emportais outre les scènes guerrières des souvenirs plus proches du quotidien des fermiers et des maraîchers notamment en aidant notre voisin à repiquer des plants de poireaux dans un champ qui me paraissait sans limites me causant des courbatures toute une semaine.
Le terrain de jeux que constituaient les champs de blé tout juste moissonnés avec leurs bottes de paille éparpillées nous donnaient de multiples occasions d’inventer des histoires de bataille d’autant que les escadrons militaires dans leur passage avaient laissé des quantités de munitions que dans notre inconscience nous manipulions sans vergogne.
Le grand plaisir restait le retour au domicile en fin de journée d’été qui s’effectuait dans la carriole du fermier tirée par un grand cheval avec parfois le droit de tenir les rênes quelques instants dans ces chemins vicinaux où ne circulait aucune voiture.
Le départ pour retrouver la cité de cheminots fut un moment important de mon enfance car à la rupture tragique de la guerre s’y était ajouté cette parenthèse que constitua le partage pendant deux années du mode de vie du monde agricole avec sa relation au temps rythmée par les saisons et les variations climatiques.
J’en garde un souvenir ému et j’utilise encore aujourd‘hui une partie de mon temps libre pour retrouver les parcours d’enfance à travers les champs et les petites mares bordant les fermes où pataugeaient les familles de canards sous les branches basses des saules.
Lomme le 13 novembre 2018. Pierre Haigneré.