Quand les herbes envahissent les voies
20 avril 2004Sous la lumière crue des projecteurs, voilée par une brume tenace, les enrayeurs s’activent autour des wagons descendant de la bosse* pour se diriger vers le train en cours de formation.
Les haut-parleurs criant leurs ordres en langage incompréhensible pour les non initiés dominent le crissement des roues d’acier sur les rails et les chocs des tampons, troublant ainsi les espaces nocturnes. Mais pour tous les habitants de la cité ces bruits sont familiers et font partie de leur patrimoine local auquel ils sont vivement attachés.
Chacun devine derrière ces sons l’activité de tous ces cheminots spécialistes dans leur domaine respectif ; du « pianiste » qui par les billes de son « combinateur » trace l’itinéraire du wagon jusqu’au coordinateur de branchement et du freineur de cabine.
Les intempéries n’arrêtent pas le travail de ces équipes qui se relaient par service de 8 heures au chevet des wagons, vérifiant l’état de leur roulement pour reconnaître leur aptitude au transport.
Cette immense plaine en forme de raquette est le siège depuis plusieurs générations d’une intense activité où les hommes ont connu les difficultés et les peines d’un travail posté, les souffrances de la guerre ou la fraternité des conflits sociaux.
Le silence qui envahit peu à peu ces espaces ne peut pas conduire à l’oubli ni à la résignation ; par respect pour ce qui fut une grande œuvre de l’histoire ferroviaire il appartient aux jeunes générations d’y puiser la volonté de reconstruire des lieux de vie harmonieux dans l’évolution des nouvelles technologies.
* les machines diesel poussent les trains vers le haut de la raquette d’où par déclivité, les wagons glissent en direction des voies de triage.