Le petit porteur d’eau
2 mars 2012FABIEN, DELERUELLE et NOENS étaient les noms qu’on avait attribués à ces groupes de maisons dites « provisoires » bâties au Marais après la dernière guerre pour loger les « sinistrés » victimes des dommages causés par les bombardements. Ces logements qu’on appelait communément « baraquements » étaient pour une partie à l’emplacement actuel de l’extension du cimetière du Marais et pour l’autre sur le site de la petite zone industrielle juste avant Sequedin.
Péjoratif le terme de « baraquements » puisque ces maisons de 1945 étaient solidement construites en briques, le « provisoire » étant devenu certes mal approprié considérant qu’elles ont duré plus de trente ans, leur démolition datant de 1976. Chaque groupe de maisons était disposé en fer à cheval avec dans la partie arrondie une placette servant de terrain de jeux et entourée des rues dont le seul revêtement a toujours été constitué de scories tassées par le passage.
Ces maisons ont logé pendant ces nombreuses années des gens de catégorie sociale modeste dans une réelle ambiance de solidarité. Il le fallait, surtout dans les années difficiles d’après-guerre où le voisinage se dépannait mutuellement, entre-autres pour quelques morceaux de sucre, quelques grains de café, une jatte d’huile ; ça venait du fond du cœur, tout le monde se comprenait sans rien devoir expliquer.
Bien qu’en plein quartier populaire des usines textiles du Marais, nos maisons provisoires bénéficiaient d’un assez grand terrain permettant l’entretien d’un potager et pour certaines l’implantation d’un poulailler, d’un pigeonnier ou d’un clapier. Ceux qui pratiquaient le jardinage ou l’élevage ne vendaient pas leurs excédents. On échangeait tout naturellement des légumes contre la réalisation d’une soupe ou d’autres denrées et des volailles contre une coupe de cheveux ou d’autres services. Les habitants du groupe travaillaient dans de multiples corps de métiers, il y avait même un petit entrepreneur en bâtiment.
Entraide naturelle aussi puisque la population était de tous âges et il faut dire que les plus anciens avaient quelque peine à aller chercher l’eau à la fontaine située bien souvent à plus d’une vingtaine de mètres des logements. Il n’y avait pas l’eau courante dans nos habitations mais malgré cela la vie y était quand même très agréable. Pour ma part j’étais occasionnellement jeune porteur d’eau et bien souvent, ramener un broc me rapportait un bonbon ; je ne rechignais donc jamais à la tâche…
Les parents qui travaillaient confiaient généralement la garde de leurs enfants à la voisine ; c’étaient les débuts de la télévision. Ceux qui la possédaient nous permettaient de la regarder et je me souviens de ces mini-séances de cinéma, tous assis sur des chaises alignées devant le petit écran. C’était pour nous l’occasion de déguster les beignets de Maria «la Polonaise » qui était mère de cinq enfants et qui tout naturellement en accueillait chez elle autant d’autres que les siens.
L’adolescence m’a fait vivre la disparition des anciens et ceux qui sont restés là jusqu’en 1976 ont vécu avec tristesse le fait de devoir quitter leurs petites maisons souvent coquettes et cette ambiance si conviviale pour aller vivre dans les appartements d’à côté, certes plus confortables au niveau des équipements, mais bien moins ouverts à la communication.
Le temps a passé et viennent maintenant les questions du ressenti sur cette période de mon existence, entre autres celles qui reviennent le plus souvent : Nostalgie ? Naturellement, mais principalement sur le plan des rapports humains. -Bénéfice personnel ? Oui, sans aucun doute par l’héritage d’un état d’esprit axé vers l’ouverture, la solidarité et la convivialité.