Du rififi sur le marché (N°105)

20 décembre 2021 0 Par EDITEURS
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 Dans votre Bavard, nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion d’évoquer le marché qui se tenait place de la Victoire (premier nom de la place Dompsin) dans la cité de la Délivrance. Nous vous proposons d’en explorer aujourd’hui un aspect financier, qui n’était pas sans intérêt pour les finances municipales lommoises. 

Le 11 février 1936, Eugène Dereuse, maire de Lomme, prend sa plus belle plume pour écrire au préfet : 

« J’ai l’honneur de vous faire connaître que, depuis plusieurs années, un marché public fonctionne dans ma commune, place de la Victoire, dans la cité de Lille-Délivrance, appartenant à la Compagnie du Chemin de Fer du Nord. » 

Dans ce courrier, il l’interroge pour savoir dans quelle mesure la municipalité pourrait récupérer à son profit la perception des droits de place effectuée jusqu’à présent par la Compagnie de Chemin de Fer du Nord. 

L’ingénieur subdivisionnaire des Ponts et Chaussées, a qui a été confié l’examen de cette question, acquiesce : la cité de la Délivrance est bien traversée par différentes voies communales (rue du Beau Visage, rue de la Féerie et un chemin rural), et qu’elles soient d’origine ou qu’elles aient été déviées par la Compagnie du Chemin de Fer du Nord, la commune peut parfaitement réclamer l’encaissement des droits de place. Cependant, l’ensemble de la cité, y compris les voiries communales, fait partie du domaine public de l’Etat où la Compagnie du Chemin de Fer du Nord exerce une délégation de service public. Si la municipalité veut percevoir ces fameux droits de place, il faut qu’elle en fasse la demande expresse au ministère de l’Intérieur. 

Tel n’est pas l’avis de la Compagnie du Nord, qui argue que « la jurisprudence du Conseil d’Etat a admis que si les compagnies concessionnaires doivent assurer l’entretien du domaine public, elles ont en revanche un droit de jouissance sur les « fruits » de ce domaine. » Elle ajoute : « La Compagnie acquittant les charges (entretien et impôt foncier) relatives à la cité qu’elle a créée, il peut paraître équitable qu’en retour, les revenus et produits divers lui appartiennent. » 

Le dossier, conservé aux Archives départementales du Nord sous la cote 2 O 362 / 213, ne nous donne pas le fin mot de l’histoire, mais il nous laisse en héritage un superbe plan de la cité, qui nous montre en jaune les voiries initiales qui ont été déviées dans le cadre de sa construction et sur lesquelles la municipalité pourrait exercer son droit de perception des places. 

Cependant, ce plan a un intérêt encore plus grand. Il nous dévoile en effet comment, à partir de l’avenue de Dunkerque, l’avenue du Beau Visage suivait le tracé de l’actuelle rue Roger Salengro, avant de bifurquer, place Dompsin, en direction de la rue Chrétien puis de la rue Ernest Wallart. Elle poursuivait sa route au travers de la gare de triage et aboutissait rue de l’Egalité dans le Marais de Lomme, à côté de l’emplacement du nouveau magasin Lidl. Dans la continuité de cette droite ligne, un chemin conduisait à la ferme de Duremort et de là à l’abbaye de Loos. 

Si l’on considère que la rue Roger Salengro est le prolongement de la rue Adolphe Deffrenne qui avant la création de la rocade Nord-Ouest partait du château du seigneur de Lomme, on constate que l’on a sous les yeux l’un des axes principaux de la commune, qui tissait un lien entre les deux puissances les plus importantes du territoire : le seigneur laïque d’un côté, la seigneurie religieuse de l’autre. La Révolution française et le XIXème siècle n’étaient pas parvenus à effacer cette caractéristique. Avec ces nouveaux tracés et son développement économique, Lomme, dans les années 30 du siècle passé, est une ville en transition : elle quitte ses habits de village rural pour revêtir ceux d’une cité industrielle. 

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